Transformer un cabinet dentaire : de la vision partagée à l’intelligence collective

Introduction

La transformation d’un cabinet dentaire ne se résume pas à l’achat d’un scanner 3D ou à l’introduction de nouvelles techniques cliniques. Elle touche au cœur de l’organisation : comment une équipe se parle, se coordonne, se régule, et surtout comment elle évolue dans un environnement de plus en plus complexe.

Aujourd’hui, un chirurgien-dentiste dirigeant n’est plus seulement praticien. Il devient aussi manager, animateur de collectif et garant de la pérennité d’une structure humaine et économique. La question centrale est donc : comment fédérer des associés aux aspirations différentes, des assistantes au rôle déterminant mais souvent invisibilisé, et un personnel administratif garant du lien avec la patientèle ?

C’est précisément ce que le coaching dentiste permet d’accompagner : donner aux dirigeants de cabinets dentaires les clés pour transformer leur organisation sans perdre leur identité professionnelle.

Pour éclairer ce défi, plusieurs modèles de pensée offrent des repères solides :

  • la chaîne Vision – Stratégie – Tactique – Procédures,

  • la culture des quatre P (Philosophie, Politique, Pratique, Procédure),

  • l’outil ICO (Inclusion, Contrôle, Ouverture) de Will Schutz, diffusé en France par Vincent Lenhardt et l’association EVH (Entreprises Vivantes et Humaines),

  • la pensée de Frédéric Laloux et les organisations dites Opales,

  • et enfin les apports concrets de l’intelligence collective santé.

Cet article propose un cheminement adapté au monde dentaire : passer d’un cabinet centré sur son fondateur à une organisation collective, vivante et durable.

1 – De la vision à la procédure : un fil conducteur universel

Dans beaucoup de cabinets, la vision initiale est liée au fondateur. Elle reflète ses valeurs personnelles et sert de boussole dans des décisions clés, comme le recrutement. Lorsqu’elle est exprimée clairement, cette vision permet de choisir des collaborateurs alignés, en expliquant dès l’entretien : « Voici ce que nous portons. Voulez-vous en être partie prenante ? »

Mais cette vision “fondatrice” a ses limites. Quand le cabinet grandit, quand il accueille de nouveaux associés ou cherche à s’appuyer sur l’intelligence collective, la vision doit être retravaillée par le groupe. Pour qu’elle devienne réellement partagée, il est indispensable de passer par une phase d’inclusion, afin que chacun se sente légitime pour contribuer.

Une fois clarifiée et partagée, la vision se décline en stratégie (choix structurants : développement d’une spécialité, types de patients ciblés, investissements) puis en tactique (ajustements du quotidien). Enfin, les procédures garantissent la qualité : hygiène, accueil, suivi des devis.

👉 Ce fil “Vision – Stratégie – Tactique – Procédures” est un socle universel. Mais il n’est vivant que s’il reste incarné et réinterrogé collectivement.

2 – Les quatre P : Philosophie, Politique, Pratique, Procédure

Les “quatre P” offrent une grille plus culturelle :

  • Philosophie : la raison d’être et les valeurs.

  • Politique : les grandes règles de fonctionnement.

  • Pratique : les comportements et méthodes du quotidien.

  • Procédure : les standards écrits et référentiels.

Mais attention : des procédures isolées ne suffisent pas. Elles seront contournées dès qu’une situation sort du cadre, et dans un cabinet dentaire, la complexité est la règle plus que l’exception.

Ce qui permet aux procédures de fonctionner, c’est leur lien avec les étages supérieurs. La Philosophie et la Politique donnent la boussole. Les Pratiques permettent d’ajuster. C’est seulement à partir de là que les Procédures deviennent utiles, non comme carcan mais comme socle partagé.

👉 Le cabinet dentaire n’est pas une mécanique compliquée, mais un système complexe. Il a besoin de cohérence et de souplesse, pas seulement de règles.

3 – Vincent Lenhardt, pionnier du coaching et l’ICO avec EVH

Vincent Lenhardt est reconnu comme le père du coaching professionnel en France. Dès les années 1980, il a introduit et structuré cette discipline, formant des générations de coachs et installant le coaching comme une pratique crédible.

À partir de 1994, il s’implique profondément dans l’association EVH (Entreprises Vivantes et Humaines), créée par Bertrand Martin. Pendant près de 30 ans, il y diffuse une vision du management fondée sur la confiance, la responsabilité et l’intelligence collective.

Lenhardt a notamment intégré l’outil ICO (Inclusion, Contrôle, Ouverture), issu des travaux du psychologue américain Will Schutz.

Vivre l’expérience de l’inclusion

Dans les séminaires d’EVH ou dans la formation Transformance Pro, les participants vivent souvent une expérience marquante : celle de découvrir qu’un groupe hétérogène peut, en quelques heures, créer une confiance suffisante pour que chacun ose dire ce qu’il est vraiment.

Ce cheminement, décrit par Schutz et mis en pratique par Lenhardt avec une forte intelligence émotionnelle, suit trois étapes :

  1. Reconnaissance : la personne se sent importante, car elle est reconnue comme légitime.

  2. Appartenance : de cette reconnaissance naît un sentiment d’être “dedans”, de faire partie du collectif.

  3. Engagement : la personne peut alors s’investir, mettre son énergie au service du bien commun.

👉 Dans un cabinet dentaire, ce processus est concret : une assistante reconnue et incluse s’implique plus fortement dans l’accueil, propose des améliorations de procédure, et devient un pilier invisible de la qualité globale.

👉 C’est un exemple typique d’intelligence collective santé : un outil simple (ICO) qui transforme la dynamique d’un cabinet en impliquant toutes les strates de l’équipe, des associés aux assistantes.

4 – Frédéric Laloux et l’organisation Opale

L’association EVH a également contribué à diffuser en France l’ouvrage de Frédéric Laloux, Reinventing Organizations. Publié initialement en anglais, il a été traduit et soutenu par EVH, qui y a vu un prolongement de ses propres pratiques.

Laloux décrit des organisations “Opales” fondées sur trois piliers :

  • l’auto-gouvernance,

  • la plénitude (authenticité et congruence),

  • la raison d’être évolutive, qui s’adapte au fil du temps.

L’Opale dans un cabinet dentaire : un cadre plutôt qu’un contrôle

Dans une organisation opale santé, l’essentiel n’est pas de déléguer des tâches techniques, mais de créer un cadre clairqui permette à chacun d’agir selon ses compétences et de communiquer avec les autres.

Dans un cabinet dentaire, cela signifie :

  • des procédures de base pour la sécurité,

  • des espaces de dialogue réguliers,

  • et surtout, des formations en soft skills (écoute, feedback, communication authentique) pour renforcer la coopération.

On ne forme pas uniquement aux gestes techniques, mais à la capacité de se parler, s’ajuster, décider ensemble. C’est ce cadre qui libère l’initiative et permet l’adaptation continue.

5 – De Will Schutz à la dynamique collective du cabinet

Le modèle de Will Schutz (FIRO, puis Élément Humain) éclaire la racine de l’ICO. Il met en évidence trois besoins universels :

  • Inclusion : appartenance au collectif,

  • Contrôle : clarté des responsabilités et marges de manœuvre,

  • Ouverture : communication authentique et transparente.

Ces trois besoins agissent comme des régulateurs invisibles. Lorsqu’ils sont négligés, apparaissent frustrations, conflits ou départs. Lorsqu’ils sont reconnus et travaillés, ils deviennent moteurs de confiance et d’efficacité.

👉 Schutz a posé les bases. Lenhardt les a rendues praticables en France. EVH en a assuré la diffusion collective.

6 – De la gouvernance individuelle à la gouvernance partagée

Beaucoup de cabinets reposent au départ sur un fondateur charismatique qui centralise les décisions. Mais avec la croissance, l’arrivée de jeunes associés et la complexité des normes, ce modèle atteint ses limites.

Passer à une gouvernance partagée suppose :

  • de passer du “je décide” au “nous co-construisons”,

  • d’accepter que l’erreur fasse partie de l’apprentissage,

  • de développer une intelligence collective où chacun prend une part du leadership.

👉 Le fondateur n’abandonne pas son rôle : il devient le gardien de la vision, non plus le décideur unique.

7 – Étapes concrètes de la transformation

  1. Clarifier et partager la vision (atelier, séminaire).

  2. Formaliser des politiques accessibles et connues de tous.

  3. Inclure assistantes et secrétaires dans les réflexions.

  4. Mettre à plat les procédures et éliminer celles qui bloquent.

  5. Créer des rituels de communication (réunions courtes, feedback).

  6. Valoriser les initiatives venues du terrain.

  7. Accompagner chaque nouvel associé avec un parcours clair.

  8. Développer une culture où l’erreur nourrit l’apprentissage.

8 – Les qualités attendues du dirigeant

La réussite d’une transformation repose avant tout sur la posture du dirigeant. Il doit cultiver :

  • l’écoute et la patience,

  • l’humilité de reconnaître ses limites,

  • la confiance pour déléguer,

  • la cohérence entre ses paroles et ses actes,

  • la capacité à animer des processus participatifs.

Ce chemin prend du temps — souvent deux à trois ans — mais chaque avancée mérite d’être reconnue.

Conclusion

Transformer un cabinet dentaire n’est pas seulement une affaire d’outils techniques ou de procédures. C’est avant tout un processus humain et culturel.

En s’appuyant sur les modèles classiques (Vision-Stratégie-Tactique-Procédures, Quatre P) et sur les apports de Lenhardt, Schutz, Laloux et EVH, un cabinet peut devenir une organisation opale santé, où la confiance et l’inclusion soutiennent la performance clinique et managériale.

👉 Un cabinet vivant n’est pas seulement une organisation efficace, c’est d’abord une équipe où chacun se sent reconnu, trouve sa place et ose contribuer pleinement.

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