Passer de soignant à leader : un changement de posture nécessaire
Introduction : le choc du premier patient
Je me souviens encore de mon premier soin. J’avais réalisé une anesthésie tronculaire. En me retournant pour préparer le matériel, le patient m’a dit d’une voix blanche : « Je ne me sens pas très bien. » Son visage était glacé, il respirait vite. Pris de peur, je n’ai pas osé le regarder. J’ai simplement répondu : « Écoutez, c’est normal, ça va passer. »
Aujourd’hui, je ferais différemment. Je le regarderais calmement dans les yeux, je lui prendrais le poignet et, avec une voix posée, je lui dirais : « C’est normal. Ça va passer. »
Le geste médical est identique. Mais la posture relationnelle, totalement différente.
Ce contraste résume l’enjeu de toute une carrière : sélectionnés sur des critères scientifiques, formés d’abord à la technique, les dentistes découvrent très vite que leur métier exige aussi des compétences humaines et managériales.
I. Le double défi du praticien
1. La maîtrise technique
Tout commence par la technique. Le jeune dentiste enchaîne les formations, perfectionne ses gestes, suit l’évolution des matériaux et des outils. Cette exigence ne disparaîtra jamais. Mais elle ne suffit pas.
2. Construire la confiance
Très vite, il découvre que la confiance d’un patient ne repose pas uniquement sur la qualité du soin.
Un exemple simple : un patient dit « J’ai peur que ce traitement soit trop long. »
Réponse classique : « Non, ce n’est pas si long. » → le patient se ferme.
Réponse issue de la PNL : « Trop long ? » en reprenant exactement ses mots. Le patient se sent entendu, rassuré, compris.
La confiance se joue autant dans la posture relationnelle que dans le soin.
3. Les contraintes administratives
À cela s’ajoutent des charges lourdes : paperasse, logiciels, normes d’hygiène, obligations légales. Chaque jour, des heures disparaissent hors du soin. Les patients, surinformés par Internet, abordent la relation comme des consommateurs de soins.
4. Le rôle de manager
Et bientôt arrive l’équipe. Une assistante, puis deux. Un cabinet qui grandit, des plannings à gérer, des choix financiers à assumer. Puis les associés, imposés par le cadre légal français, avec leurs visions et ambitions parfois divergentes.
En résumé : le dentiste n’est plus seulement soignant. Il devient aussi manager et dirigeant.
II. Deux postures, deux mondes
1. Le soignant
La posture de soignant se décline en trois dimensions :
La technique : un soin précis, actualisé, de qualité.
Le relationnel : établir une alliance de confiance.
Le service : tenir la promesse initiale (nombre de séances, coût annoncé, résultat attendu).
Si un changement est nécessaire, il doit être expliqué en transparence pour obtenir l’adhésion du patient.
2. Le manager
La posture de manager repose sur d’autres leviers :
recruter et fidéliser des assistantes,
maintenir la cohésion d’équipe,
arbitrer des choix financiers,
gérer les relations entre associés aux attentes différentes.
Exemple fréquent : un associé senior veut ralentir alors qu’un junior pousse à investir dans le numérique. Le leader doit construire un compromis viable.
III. Le choc des postures
1. Le réflexe du “faire soi-même”
Formé à la précision, le dentiste a du mal à déléguer. Vérifier chaque plateau préparé, reprendre chaque tâche : c’est naturel pour un technicien, mais toxique pour une équipe.
Déléguer, c’est accepter que l’autre fasse différemment. Pas moins bien, simplement autrement.
2. Manager dans le chaos
La vie d’un cabinet est pleine d’imprévus. Une assistante absente, une panne matérielle, un patient en urgence. Le leader doit garder le cap, trouver des solutions et rassurer l’équipe. Comme le dit Vincent Lenhardt, il s’agit de “manager dans le chaos”.
IV. Les compétences clés du leader
Vision : donner du sens aux choix. Exemple : expliquer pourquoi un cone beam est stratégique malgré un coût immédiat.
Cohésion : résoudre un conflit entre deux assistantes sans perdre la confiance de l’une ou l’autre.
Confiance : écouter un collaborateur en difficulté personnelle et adapter son organisation.
Complexité : transformer un avis Google négatif en apprentissage collectif, plutôt qu’en drame.
V. La transformation intérieure
Se former en management ou communication est utile. Mais ce qui fait passer du soignant au leader, ce n’est pas une boîte à outils. C’est un changement intérieur, une posture différente.
Le coaching accompagne ce passage. Non pas en donnant des recettes, mais en aidant le praticien à puiser dans ses propres ressources et à s’aligner avec ce qu’il est en profondeur.
Parfois, le coach devient formateur pour transmettre une notion précise, mais il le fait en transparence. Puis il redevient coach, et le processus de transformation se poursuit.
Comme une plante, cette transformation a son rythme. On ne tire pas sur une tige pour la faire pousser plus vite.
Conclusion : une posture, pas un outil
Passer de soignant à leader n’est pas une option. C’est une nécessité. Le dentiste reste soignant, mais il devient aussi chef d’équipe, gestionnaire, associé.
Le geste médical reste le même, mais la posture change.
Regarder un patient dans les yeux et lui dire calmement : « C’est normal. Ça va passer. »
Regarder son équipe et lui donner confiance.
Regarder ses associés et leur offrir une direction commune.
La question n’est donc pas si le dentiste doit devenir leader, mais comment il choisira de l’être.